Palenque de San Basilio : Un Village Afro-Colombien au Patrimoine Culturel Unique

Les Palenqueras de Carthagène : Ambassadrices d’une Tradition Colorée

Dans les ruelles animées du centre historique de Carthagène des Indes, ancien port négrier de la côte caraïbe colombienne, les Palenqueras attirent l’attention des touristes. Drapées de robes aux couleurs vives rappelant le drapeau national, elles portent souvent une jatte remplie de fruits sur la tête. Ces femmes proposent aux visiteurs de les photographier en échange d’une modeste rémunération d’environ 5000 pesos, soit près d’un franc suisse, offrant un sourire, une danse ou un souvenir empreint de soleil caribéen. Cette tenue traditionnelle s’est progressivement imposée comme l’un des symboles emblématiques de cette destination majeure en Amérique latine.

Une Communauté aux Racines Africaines Profondes

Diana, Gloria, Emelia, Isabel et d’autres femmes similaires viennent toutes du village de Palenque de San Basilio, situé à environ 51 kilomètres au sud-est de Carthagène. Cette localité compte près de 5 000 habitants qui composent une communauté noire particulière dans le département du Bolívar. Ils sont principalement les descendants de marrons, ces anciens esclaves africains ayant fui l’oppression coloniale espagnole afin de former une société autonome affirmant fièrement son héritage africain. On estime aujourd’hui que la population d’origine palenquera en Colombie atteint près de 30 000 personnes. Des groupes comparables existent également dans d’autres régions du pays ainsi que dans plusieurs pays d’Amérique du Sud.

Un Village à l’Atmosphère Africano-Caribéenne

À Palenque de San Basilio, certains aspects évoquent clairement une influence africaine, notamment d’Afrique de l’Ouest. Des inscriptions telles que « Afrika » ou « Black Lives Matter » ornent les murs sous forme de tags et fresques artistiques dans toute la ville. Au centre du village, trois Palenqueras accueillent les visiteurs près d’une statue en bronze de Benkos Biohó, figure emblématique et fondateur de la communauté en 1603, mort tragiquement en martyr en 1621 après avoir été pendu et écartelé. Cette œuvre représente cet ancien leader émancipateur, symbole de la rupture avec l’esclavage, un poing levé et une main tendue vers le continent africain d’origine.

Tourisme et Valorisation Culturelle

Le développement touristique à Palenque est relativement récent. « Au début, la majorité des habitants étaient réticents, craignant une acculturation pouvant menacer leurs traditions », explique Nuno Benbele, 38 ans, conseiller municipal chargé de l’éducation, musicien et guide local, identifiable à un tatouage à motif africain sur le mollet. Il précise également que, malgré l’usage de noms d’origine européenne comme Hernandez ou Cassiani, nombreux sont ceux qui choisissent désormais un nom à consonance africaine pour affirmer leur identité. Selon lui, le tourisme est devenu un outil pour promouvoir et transmettre la richesse culturelle et les coutumes ancestrales.

Première Société Autonome en Amérique

Historiquement, en 1713, la couronne espagnole et la communauté de Palenque ont conclu un accord qui octroyait l’autonomie et la liberté aux descendants d’esclaves, à condition qu’ils adoptent le catholicisme. Cette indépendance constitue une première en Amérique avant les Révolutions américaine (1776) et haïtienne (1804). Aujourd’hui, Palenque conserve un statut particulier en Colombie : sa population possède les terres, n’est pas assujettie au paiement d’impôts étatiques, et le service militaire y est uniquement volontaire contrairement au reste du pays où il est obligatoire dès 16 ans. La communauté dispose même de sa propre police locale, et les liens étroits entre résidents contribuent à maintenir une faible criminalité.

Langue, Traditions Culinaires et Médecine Populaire

Les Palenqueros s’expriment dans une langue créole mêlant espagnol et portugais, signe supplémentaire de leur identité distincte. La culture locale s’exprime également par une gastronomie mêlant influences africaines et colombiennes ainsi que par une médecine traditionnelle qui reste pratiquée à domicile ou dans un dispensaire voisin de l’église. Nuno Benbele souligne que cette pharmacopée naturelle aurait contribué à prévenir les décès dus au Covid-19 au sein de la communauté. Ces éléments culturels constituent les piliers essentiels de la vie à Palenque et font partie des ateliers proposés aux visiteurs, désireux de découvrir ces pratiques authentiques.

Une Évolution Sociale et Linguistique

Jusqu’au début du 20e siècle, le village vivait en quasi-autarcie. Mais la crise économique mondiale de 1929 a incité les jeunes à apprendre l’espagnol afin d’élargir leurs possibilités professionnelles. Le recours à l’anglais reste cependant rare, réservé aux personnes accueillant des groupes scolaires ou des touristes étrangers.

Un Patrimoine Reconnu et Un Tourisme Responsable

Cette approche axée sur un tourisme respectueux et culturellement enrichissant contraste nettement avec l’effervescence touristique du vieux Carthagène. Elle suscite un intérêt particulier, notamment parmi les Afro-Américains. Lors de la visite réalisée le 21 août 2025, une famille originaire de Pennsylvanie admirait la préservation du patrimoine afro-caribéen à Palenque. En reconnaissance de son importance historique et culturelle, l’UNESCO a inscrit le village sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2008.

Ce reportage a été développé avec le soutien de ProColombia et Edelweiss, la compagnie aérienne suisse qui propose deux vols directs sans escale par semaine entre Zurich et Carthagène, ainsi qu’entre Zurich et Bogota, de octobre à avril.